Erosion

Erosion

Tu te fanes peu à peu. 
Pétale après pétale
Tous tes attributs s’évaporent et te laissent bien vulnérable et impuissant.
Tes sens t’abandonnent et te trahissent.
La loupe, ton sonotone et ta canne sont devenus tes fidèles compagnons pour t’empêcher de trop dévier de la route balisée que tu ne distingues plus.
Sans eux tu frôles le hors piste du ravin broussailleux.
Et parfois tu y tombes.

Tes forces s’amenuisent.
Se lever, se laver, s’habiller, marcher, s’asseoir, se lever à nouveau et se rasseoir.
Tout devient un effort et te demande maintenant une vigilance aiguisée.
Les cristaux dans tes oreilles ont la bougeotte et te font tanguer et vaciller.
Tu as banni la lecture et l’écriture.
Gestes anodins devenus des épreuves hors de portée.

Tes os se sclérosent et tes muscles se paralysent et disparaissent doucement.

Tu es prisonnier de ton corps.
Il te quitte inexorablement, t’enferme et se vide.
Autodestruction annoncée
Ta demeure est ta camisole.

Et le désir s’en va de toi,
Car tu as abdiqué.
Tu attends simplement qu’elle vienne et t’emporte.
Ultime étreinte
À tes yeux d’ancien, on vit vieux trop longtemps aujourd’hui.
Que dire ? Penser ? Comment réagir ?
Certains luttent pour vivre,
Bataillent pour survivre,
Espèrent leur rémission.
Toi tu attends.
Ni résigné, ni dépressif
Préservé d’Alzheimer
Simplement démissionnaire car ton corps t’abandonne.
Mais qui sommes nous pour juger ?
Attendons d’être à ta place et nous ferons peut-être moins les vaillants.

Tu aimais la vie et elle te l’a bien rendue.
Tu as vécu comme un prince né humblement marchand.
Tu étais si fougueux et volontaire bravant l’adversité.
Là c’est le règne de l’inertie et de l’immobilisme.
Ruine malgré toi, tu acceptes et as déposé les armes.

Tu te consumes lentement comme les dernières braises crépitantes du feu ardent lancé plus tôt dans la belle cheminée.

L’inébranlable et impartial tempo t’érode telle la mer qui grignote les falaises.

Ne soyons pas jaloux, nous ne serons pas oubliés.
Un jour prochain ce sera aussi notre tour.
À l’échelle de l’univers, juste le temps d’une courte respiration.
Et toute la magie de la chirurgie, du botox et de la liposuccion n’y pourra rien.
Fallacieuse conquête que le jeunisme !
Car à l’intérieur de toi, l’imparable tic tac continue sa course.
Abracadabra il te dévalise et te dévitalise.
Marque ta peau de son empreinte,
Et laisse tes cellules bien maigrichonnes.

Tout ce que l’on t’a donné t’est repris.
Ce n’était qu’un prêt.
Ton abonnement à la Terre expire bientôt.
Et là aucune extension de forfait.

À la vue de ta déchéance, certains se barricadent dans le déni.
Protection bien vaine et inutile qui n’accentuera que d’autant plus la chute.

Alors les plus lucides et clairvoyants se préparent à ton voyage.

Cher cactus si vigoureux hier en plein désert, tu te ramollis te flétris aujourd’hui à l’ombre.
Et tes belles épines tombent une à une.
Tu retournes à ta première maison.

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