A l’épreuve

A l’épreuve

Le couperet est tombé.
Confinement !
Même si nous avons vu venir sa lame acérée, nous nous esclaffons, nous nous ébouriffons les cheveux,
Nous protestons devant notre quotidien perturbé, chahuté, renversé,
Devant notre liberté entravée.
Nous nous offrons nos angoisses mutuelles,
En dévalisant irrationnellement les rayons pour remplir nos placards déjà chargés.
Nous pestons de peur face à l’inconnu de demain.
Mais aussi nous nous soutenons joyeusement.
C’est l’âge d’or de la vidéo rigolote pour amuser et divertir nos amis.
C’est dire « je t’aime » à distance.
C’est encourager vigoureusement nos courageux soignants.
C’est l’entraide et la solidarité pour combattre et éradiquer l’ennemi invisible.
C’est prendre soin de nos aînés seuls et isolés.
C’est faire front unis.
Mais le plus éloignés les uns des autres.

« Vous serez tous ensemble mais séparés. »
Simple paradoxe troublant qui se joue de nos repères en les déplaçant ?
Ou vraie mise à l’épreuve telle une invitation à nous réinventer ?

Contraints, nous nous mettons enfin en ordre de marche pour ralentir à l’unisson.
Freiner, calmer, apaiser notre souffle intérieur.
Revenir à l’essentiel et rentrer en soi !
Savourer le temps qui passe et se délecter de la minute, de la suivante et de celle d’après...
Écouter à nouveau la nature qui reprend ses droits avec ses habitants que nous malmenons tant.
Apprécier chaque bouffée et chaque foulée quand la sortie est là.
Admirer une ville inanimée et désertique.
Un Paris bouillonnant et cacophonique au repos pour la première fois.
Ce spectacle n’est-il pas grisant d’étrangeté ?
Profiter goulûment quand ta terrasse ou ton jardin existent.
Rêvasser en tête à tête avec les nuages.
Chérir les vertus de la patience et de l’ivresse de l’ennui.
Renoncer à subir pour décider de se choisir et d’arroser son cœur.
S’évader de ce nouvel enfermement par l’immensité de la lecture.
Entrer en résistance par la création solitaire.
Embrasser la vie dans sa forme originelle.

Les urbains et les citadins jalousent maintenant la campagne et les oiseaux qui gazouillent et chantent.
Les optimistes, les grincheux, les joyeux, les râleurs,
les puissants, les fortunés et les moins riches,
Nous nous soumettons tous face à l’épreuve qui nous impose sa loi.
Bon gré-malgré, nous acceptons ce que jusque là nous nous refusions de changer.

Confiner : « Qui touche aux limites. »

Faire bouger nos lignes.
Évacuer et abolir le superflu chaotique et dissonant.
Brûler nos acquis et nos privilèges d’humains égoïstes et capricieux.

Et qu'en est-il de nos laissés-pour-compte sur le trottoir,
Des exclus, des désœuvrés, des précaires et des réfugiés déjà bien trop méprisés et accablés d’indifférence ?
Nos œillères de protection une fois la porte claquée ne sont pas assez grandes pour cacher notre lâcheté.
Solidaires par intermittence ?
C’est facile et confortable d’applaudir nos héros depuis nos fenêtres.
Mais pour la noble compassion, loin des phares, dans l’obscurité ?

N’étions pas alors déjà largement confinés et arc-boutés dans notre monde ultra-productif, compétitif et saturé ?
N’avions nous pas nos sens obstrués et bouchés par notre illusion de toute puissance ?

Ce défi, qui désarçonne tout autant qu'il fait pulser notre cœur, n’est-il pas une heureuse opportunité de nous découvrir et de nous surprendre dans l’adversité ?
Les Dharmapalas sont à l’œuvre et Mahakala le premier nous enveloppe pour nous enjoindre à nous dépasser.
N’est-ce pas une chance inespérée de contempler à nouveau notre tendre planète,
Comme deux amants passionnés et sereins qui se regardent simplement ?

Redescendre de notre perchoir perfusé par notre ego dupé par son propre reflet mensonger.
Retrouver humblement notre juste place d’humains.
Une petite pichenette dans l’univers.

Ne sentez vous pas dans l’air la fumée de l’incendie ?
Ma douce Kali c’est toi ?

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