Au pays des fanatiques de la lutte permanente

Au pays des fanatiques de la lutte permanente

Certains se déclarent « perfectionnistes» tellement ils veulent que tout soit impeccable.
Ils estampillent cela tantôt comme une haute qualité, tantôt comme un noble défaut.

Mais le vrai perfectionniste se cache et se terre dans son silence de labeur.
Le perfectionniste ne se reconnaît pas lui même.
Alors ils se présente consciencieux, rigoureux et exigeant.
Persévérant, volontaire et déterminé,
Il est confortable dans la sueur.
Bosseur assidu, travailleur tenace, passionné acharné,
Il est le génie sans talent.
Inlassablement comme un mort de faim, il s’exerce et répète encore et encore jusqu’à ce que ça devienne une habitude quotidienne, un automatisme gravé dans le corps, une pensée creusée dans le cœur.
Il vit en se dépassant.
Et le défi est sa norme.

Il se gonfle de puissance.
Mais au paroxysme de son apogée, le perfectionniste devient dictateur inflexible.
La tyrannie du mieux que mieux s’empare de lui.
Le contrôle tortionnaire s’installe comme les fortes pluies orageuses durant les lourdes journées estivales.
La gestapo continue de se répandre et tisse sa toile tel un bunker vénéneux qui aime manger sa proie tout doucement.

C’est alors l’heure du piège mortifère avec ses commandements.
Le putsch survient !
« Tu t’écraseras d’obligations. »
« Tu ne vivras que sous la punition de mutilations que tu t’infligeras. »
« Tu ne progresseras qu’en transpirant et en souffrant. »
« Tu t’invalideras à coup de lacération pour mieux mériter tes victoires. »
« Alors tu seras galvanisé par ce combat titanesque. »
« Et tu t’élèveras à travers toutes tes puissantes et incisives amputations. »

N’est ce pas un plan constitutionnel si stratégique et imparable ?
Ah ! Mesdames Anorexie et Boulimie lèvent joyeusement leur main dans l’assemblée pour témoigner leur approbation !
Mais aussi Madame Scarification et Monsieur Sabotage !
Monsieur Autodestruction, président du parti des « ultra-perfectionnistes », se réjouit de leur enthousiasme.

Il tient à féliciter chaudement Madame Privation pour ces derniers excellents résultats.
Elle a en effet réussi à installer et faire durer une aménorrhée chez sa propriétaire depuis maintenant dix mois. Suite à une séparation douloureuse, Monsieur le Juge Dévalorisation avait estimé que la propriétaire n’avait plus besoin de ses règles et qu’il était amplement justifié de s’en débarrasser.
Monsieur le Président décerne ainsi l’ordre du mérite à Madame Privation pour ses efforts constants.
« Vous maintenez l’habitat de votre propriétaire dans un état de délabrement tout à fait parfait, faisant d’elle une moitié de femme, amputée de ses racines et coupée de sa pleine puissance sacrée. Bravo ! »
Monsieur Il Faut, sa femme Tu Dois et leur enfant C’est Jamais Assez applaudissent avec les autres fidèles.

Est-il possible de se libérer du joug de la galvanisation par la mortification ?
Est-il possible de vivre sans se faire mal dans un reflex de survie ? Est-il possible de cesser de se torturer ?
Est-il possible d’exister sans se battre?

Parce que déposer les armes tournées contre soi est si difficile et effrayant de vertige quand on s’est toujours mené à la baguette.

Dans un sursaut de vie, la propriétaire a commencé la démolition de sa vielle maison rongée par les mites voraces et affamées du parti des ultras.
Sur leur bulldozer de lumière, de puissants protecteurs font bloc et inondent le terrain d’amour et de compassion.

Être un humain infaillible est une illusion si stérile et la belle quête d’absolu n’est pas une idéologie terroriste avec soi même.
Le joyau de la transcendance se fait dans l’amour de soi et non pas à califourchon en se grimpant dessus avec la bride bien serrée et la cravache tendue.

Souhaitons aux fanatiques de la lutte permanente d’être simplement parfaitement imparfaits et de jouir de leurs chutes comme de leurs succès.

Leur besoin de se violenter tombera comme une peau morte qui s’effrite et se décompose en lambeaux.

Et un jour leurs difficultés et leurs victoires leur apparaîtront égales et n’auront plus que peu d’importance au regard de lumières infinies et éternelles.


2 réponses à “Au pays des fanatiques de la lutte permanente”

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