Honorer

Honorer

Il existe un monde.
Peut-être les limbes ?
Où le voyage devient une infernale errance.

Où vont nos morts qu’on ne regarde pas partir ?
Où vont ceux que l'on veut absolument retenir auprès de nous ?
Que deviennent-ils si l'on refuse de leur dire « Merci » ?
Si pour survire, l'on se barricade en mettant leur existence sous silence ?
Le voile est jeté et la distance nous protège.
Pour un temps seulement...

« Je te vois. »
Il avait tant attendu ces mots.
Il était resté là.
Piégé et séquestré malgré lui.
Il a alors tenté de sortir de sa prison en se collant à un cœur amical.

Il avait trouvé en elle un cœur fraternel et avait pris l’habitude de se loger dans ses cheveux.
Il se manifestait comme une démangeaison tenace.

Il insistait tant pour être vu.
Alors elle, elle s’est mise à se gratter la tête.
À se gratter au sang.
Sans comprendre.
Une irrépressible envie de se gratter le cuir chevelu.
Ça partait puis ça revenait.
Se gratter encore.
Les croûtes se formaient en plusieurs endroits.
Se gratter encore et encore.
Ça se calmait, ça se reformait, ça la démangeait.
Se gratter encore.
Ça s’effritait et disparaissait d’un côté mais ça naissait et poussait d’un autre côté.
Se gratter encore comme une dépendance.
Lui depuis toutes ces années ne cherchait qu’à être reconnu.

Pensez-vous toujours que la mort ne nous regarde pas ?
Croyez-vous toujours qu’elle est finitude et néant ?

Nos défunts nous parlent,
Qu’on les entende ou non.
Ils se frayent un chemin dans notre corps.
Leur douleur nous câline et nous emprisonne à notre tour.

S’impose alors de faire ce qui n’a pas été fait.
Réparer l’oubli, le rejet ou aussi le mensonge.
Rétablir la bonne place de chaque être.
Reconnaître ce qui ne pouvait être vu avant.

Avec ses objets du quotidien,
Elle a préparé une veillée funéraire en l’enveloppant avec soin dans une couverture.
Elle a soigné sa sépulture avec des offrandes et une bougie allumée.
Elle s’est agenouillée et s’est recueillie en demandant pardon.

« Je te vois. » disaient ses larmes tombant sur ses joues.
« Je te vois. » s’excusait son chagrin libéré.
« Je te vois. » murmuraient sa gratitude et sa délivrance.

Nous, les vivants, sommes si friands et gourmands des applaudissements et des célébrations pour saluer le succès d’un tel ou d’un tel.

Tachons d’abord de rendre correctement hommage à ceux qui nous ont quittés et à ceux partis sans être nés.
Non pas pour se badigeonner de notre propre douleur mais pour regarder et accueillir dignement notre impuissance.

« Je te vois pour te laisser partir. »

À travers l’Histoire, chérissons nos morts reniés non reconnus, non remerciés et non enterrés.
Honorons-les pour les couvrir de paix et de repos, et bientôt nous nous sentirons aussi plus légers.

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