Ici et ailleurs

Ici et ailleurs

Jambes fragiles. Corps mou. Tête lourde.
Ça bouge, car ça se désarticule.
Hébété, je tangue tel un navire sans capitaine, trimballé ci et là dans les vagues.

Une colère me monte.
Une fureur inconnue me pousse du ventre.
Oui, je résiste et me défends à ce qui arrive, mais dont j’ignore tout.

J’ai envie de cracher. J’ai quelque chose de coincé dans la gorge. Je tape dessus. Je racle.
Encore.
Je veux me défaire.
Tous azimuts, je me débats pour m’échapper.
Mais j’étouffe.
Je m’atrophie de l’intérieur.

Dans une danse agonisante, je chavire.
Je frappe et cogne le mur d’impuissance.
À l’aide ! Je disparais !

Aucune bouée. Aucun sauveur.
La déroute totale, mon souffle vital s’en va en m’asphyxiant.
Je brûle et je ne peux rien faire.

Je ne peux rien faire, car je réalise que je suis en train de mourir.
Titubant avec mes dernières forces, je tombe au sol.
Je ne peux absolument pas résister.

Mais là, je ne suis pas tout à fait seul.
Quelque chose m’observe sans sourciller, sans bouger.
À quelques mètres de moi,
Comme un maton de prison froid et hermétique, il me regarde agonir et partir.
On dirait même presque qu’il attend patiemment que cela se fasse.

Et c’est tout proche.
Ma respiration se calme et diminue.
Elle devient un discret filet d’air, un bruissement éphémère.
Et mon souffle se dépouille comme une brisure.
Oui, je me dépossède.
Je m’en vais.

Suis-je parti ? Suis-je mort ?
Certainement, puisque je ne souffre plus maintenant.
Mais où suis-je si je me sens toujours là ?
Alors à mon tour, j’ai l’impression d’attendre quelque chose.

Percuté par un violent spasme, mon geôlier sort de son immobilisme.
Me voyant inanimé et gisant, il réalise et vient, affolé, en rampant pour tenter de me ranimer.
Et vas-y qu’il essaye le massage cardiaque !

« C’est maintenant que t’arrives ! Bah trop tard. » Ai-je envie de lui lancer. Mais je n’en fais rien.
En larmes et apeuré, mon sauveur me secoue et me frictionne.

Et moi, sans comprendre les tenants et les aboutissants de tout ce qui se passe, j’ai la sensation de ne pas être mort, mais de jouer au mort !
Alors, je fais le mort et me retiens de dire à mon sauveur « Bou ! Jt’ai eu. » Tel un enfant ravi de sa blague pour piéger un ami.
« Hé ! Je ne suis pas mort ! » ai-je bien envie de lui avouer.
Je me tais. Je ne peux lui faire signe, car, bien que je me sente encore là, je ne peux bouger.
« Pas tout de suite. C’est trop tôt. » Me dis-je en moi-même.
« Je peux revenir, mais pas maintenant. Il doit retenir la leçon. »

Qu’appelons-nous la mort ?
Est-ce possible que nous préexistions et demeurions sous une forme inconnue à notre monde, voilée par notre vue amnésique ?
Est-ce possible que vie et mort ne soient que des passerelles d’un continuum ?

Mon sauveur me serre fort dans ses bras et moi, inerte, faisant semblant d’être échoué, je me laisse faire.
C’est le monde à l’envers pensai-je, car c’est bien ma propre mort qui m’étreint et se désespère de ma perte et moi, le défunt, qui continue de vivre autrement.

Mais mon silence garde blotti ce secret, car les peurs et les douleurs causées par la mort sont des rites de passage, non négociables, semble-t-il.
En temps voulu, ses illusions se défont et moi, toi, eux, nous tous demeurons ici et ailleurs.
Nous sommes partout de tout temps.

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