Obus de lumière

Obus de lumière

Elle reconnut un parfum qu’elle avait déjà humé quelque temps auparavant. 
Elle sentit son dos crépiter qui sonnait le rappel ou qui s’esclaffait d’appréhension de ce qui s’annonçait.
Ou un peu des deux en même temps…

Elle reconnut le chemin du retour à la grâce.
Ce retour la ravissait en même temps qu’il attristait aussi d’avance son cœur.
Car revenir à elle, revenir à soi, revenir à nous, revenir à l’éclat écarlate de lumière lui demandait de se dépouiller et de disparaître.
Laisser aller le costume et le soi.
Alors en s’abandonnant, elle revenait sur ses pas et retrouvait la maison.
Notre maison qui lui ouvrait grand les bras en même temps qu’elle lui imposait d’humbles révérences de dévotion.

Est-ce possible de revenir chez soi, de retrouver une atmosphère familière comme on enfile ses fidèles chaussons,
Et en même temps de tout découvrir avec une candeur inouïe et de s’enivrer d’un amour sans égal ?

Elle voulait rester près de ce foyer, tout près de la source de lumière, dont elle se croyait dépourvue,
Mais celle-ci, sous les traits d’une créature mythique, était des plus furtives et fuyantes.
Tel un être traversant, hors de notre monde, la créature reste insaisissable.
Elle se sentait attirée vers cet être dont elle ignorait tout, mais dont elle se sentait proche.
Elle le voyait apeuré et aurait aimé le rassurer, mais elle ne trouva pas le chemin en elle.
Elle aurait aimé faire contact avec cette altérité incompressible, mais elle respectait cette non-rencontre.
Comment faire ?
À quelle distance se placer quand on a envie d’y aller, mais qu’on sent que ce n’est pas tout fait juste non plus ?

Et comment apporter de l’aide à cet Homme qu’elle voit aussi dans un autre coin, malheureux et recroquevillé sur lui ?
Est-ce juste d’aller le consoler s’il n’a rien demandé ou s’il n’a pas envie d’être aidé ?
Est-ce juste de le laisser seul et en errance ?

Alors comment ? Comment faire pour être tous liés sans nous toucher ?
Comment être avec l’autre en étant à distance ?

« Tu n’es pas séparé. Vous n’êtes pas séparés. Rien n’est séparé. »
Cette empreinte tapait sa tête comme une loi pour l’empêcher de penser à autre chose.
Puis elle scandait sa poitrine pour que tout son corps se remplisse de cette vérité dévoilée.

Mais si je ne suis pas séparé, pourquoi je me sens tout de même séparé quand je vois les autres, le ciel qui m’appelle, les arbres qui m’apaisent,
la terre qui m’enserre parfois, mais m’ancre et me stabilise aussi ?
Si je ne suis pas séparé, qui je suis ? Et qui est l’autre ? Et les créatures ?
Où sont l’intérieur et l’extérieur ?
Car je suis bien vivant dans un corps limité et solide ?
Où sont les frontières, si tout est lié ?

Si je ne suis pas séparé, pourquoi je ressens un manque en moi ?
L’absence que les éclats de lumière laissent en moi quand ils me transpercent en m’inondant d’amour.
Le creux de la maison retrouvée puis perdue.

La chaleur d’appartenir à tout puis le vide d’être rien dans ce tout ou le vide d’être séparé de ce tout ou le vide d’être tout et rien en même temps.
Et ça tournoyait encore et encore dans son cœur.
C’était la valse des contraires.
C’était le grand écart des impossibles.
C’était l’apogée de la dualité.

Comment faire ?
Comment tenir l’équilibre des paradoxes dans une unique étreinte ?
Comment se réjouir de l’inconnu qu’ouvrent les obus de lumière quand tes certitudes fanent ?
Crédit dessin : Mariah Tato

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