Arrêtée comme une bonne citoyenne au passage pour piétons, elle attendait que le bonhomme passe au vert. Stationnée, presque accoudée à un poteau, un peu comme un pote béquille, elle voyait au loin sur le bitume s’avancer un vélo. Puis une silhouette et un homme pédalant. Un cycliste qui allait, tambour battant, en décapant le sol de son passage. Un humain en marche sur son chemin soutenu par un destrier tout à fait coopératif. Avez-vous déjà rencontré un vélo qui fait grève de pédaler quand toute sa tuyauterie est opérationnelle ? Une vie de vélo c’est pas mal aussi, pensa-t-elle, mi-rêveuse mi-jalouse de la tranquillité dont la bicyclette semblait jouir.
À quoi ça sert ? À quoi je sers ? se demanda-t-elle
Le vélo passa et hop cette image appartenait déjà au passé alors que quelques secondes auparavant il appartenait à maintenant. Elle était toujours abasourdie de constater à quelle vitesse le présent bascule dans le passé. Un éclair Un soupir long ou court Mais une respiration, qui parce qu’elle naît, meurt aussi en chemin.
Il suffit de si peu, Un pas en avant Et hop ! Fauchée Une voiture qui passait aussi
Elle s’imaginait parfois désobéir au bonhomme rouge, franchir les clous et rencontrer un choc qu’elle ne connaissait pas. Corps contre taule Peau contre ferraille
Elle s’imaginait gisant au sol, les badauds autour et peut-être le samu. Mais elle ne faisait qu’imaginer. « Respire » s’entendît-elle penser en même temps que le bonhomme passa au vert. Elle traversa en marmonnant en elle, « j’t’en foutrai de la respiration ! Je respire, ça oui, je respire. Mais quelle est la solution ? » Et elle fulminait d’avance à celui qui lui répondrait d’un sourire malicieux et serein « ça va passer. »
À quoi ça sert ? À quoi je sers ? Un but Mon but Ma nécessité