La marche du dessus

La marche du dessus

Alors que je me promenais en nature, je rencontrai des paons en liberté. Curieux, ébahi comme un enfant dans un magasin de jouets, je ralentis puis m’arrêtai pour les regarder un instant. Les autres badauds faisaient comme moi ou alors je faisais comme eux. Nous voulions contempler ces splendeurs à l’allure royale, qui nous saisissaient de façon inopinée au détour de notre balade. Je m’apprêtais à repartir et continuer mon chemin quand j’aperçus un paon, à l’écart de son groupe. C’était bien trop tentant ! D’autant qu’il y avait un banc à proximité, qui l’air de rien, m’invitait à prendre place. Alors oui, je me suis assis en douceur espérant que mes gestes ne le feraient pas fuir. Nous étions à à peine deux mètres l’un de l’autre. Tout en l’observant, le paon semblait lui aussi me regarder par moments en fixant ses yeux dans ma direction. Qui regardait qui ? Pouvais-je parler d’une rencontre ?

J’observais avec attention les couleurs du spécimen, le bleu azur de son cou, sa crête sur sa tête tels une couronne, le vert cendré de son ventre, les plumes noires et blanches de ses ailes, et sa queue déposée telle une traîne. Oui indéniablement je trouvais cet oiseau très beau. Mais encore un cran au-dessus, j’étudiais son port altier et gracieux qui se mariait aussi avec une certaine nonchalance. Pas la nonchalance des koalas et des lions, grands maîtres de la sieste, mais la nonchalance d’être là, tranquillement en vie sans chercher à faire quoi que ce soit d’autre. Et cette assurance de « je suis là dans ma simple présence » me scotchait, car je veux bien croire que si le paon avait pu parler il m’aurait dit ces mots : « Vois-tu comme c’est si simple et doux de vivre. Je ne m’agite pas, je ne cours pas. Je ne cherche pas à te plaire, car je n’en ai pas besoin. Je suis mon roi. »

Je compris à cet instant, que ce qui nous attirait tous chez ces animaux, n’était pas tant leurs ravissantes couleurs, mais bien leur confiance si paisible et noble à la fois qu’ils portaient en eux-mêmes. Ils n’étaient majestueux que parce qu’ils honoraient la vie en eux. Cette chose, ce miracle, que l’on oublie si facilement, ils lui rendaient grâce et c’était magnifique.

Je sentais poindre en moi une toute petite furtive frustration. Mais je l’ai vu passer et ça m’est apparu. J’en aurais voulu plus. On est pas un être humain pour rien ! Ces quelques minutes avec ce paon étaient déjà un joli cadeau, mais j’aurais aimé qu’il s’approche encore. Mais c’est fou ça quand même ! Voilà une belle surprise comme un rayon de soleil et bah non, je voulais grappiller encore un peu. Et je me rappelais la figure mythique du bigfoot qui ne se laisse jamais saisir. Le premier cadeau était donc là : le paon et moi étions dans la présence de l’autre sans nous tenir.

Cependant, je ne pus m’empêcher de dégainer mon téléphone et de prendre deux photos lors du tête-à-tête avec le paon, qui paraissait de surcroît prendre la pose. Je m’en voulais presque de céder à cette tentation comme tout le monde. « Tu ne peux pas simplement t’émerveiller là, ici et maintenant. Tes cellules te suffisent pas pour t’imbiber. Non, tu t’en remets aussi à une machine pour capturer l’instant, au cas où tu louperais un détail ! Mais rassure-toi ou réalise (au choix !) que tu ne peux pas tout retenir d’un seul tenant. Sans t’en rendre compte, tu sélectionnes déjà en zoomant là et en élaguant par là. » Oui je faisais bien des choix, car je n’avais pas remarqué le pigeon qui s’était approché à côté du paon. Lui n’avait pas trouvé grâce à mes yeux jusqu’à ce que je regarde le tableau d’ensemble. Et là, une sorte d’abattement coupable s’empara de moi. Par mon indifférence, je me trouvais bien ingrat envers ce pigeon. Oui, il n’avait pas les nobles attributs du paon, pas de physique avantageux, pas de couleurs clinquantes, pas de charme envoûtant, pas de grâce naturelle, pas de sérénité, pas de présence impériale. Alors qu’avait le pauvre pigeon pour lui ? Certainement pas son allure un peu agitée et pataude faite de dodelinements, ni ses plumes grisâtres, ni ses hochements de tête d’avant en arrière qui pouvait m’agacer. D’ailleurs, personne autour de moi ne prêtait attention à lui. Et là j’ai eu de la peine pour le pigeon, car bien qu’il n’avait pas le charisme du paon, il était certain qu’il avait d’autres qualités.

« Je reste ouvert. Je reconnais des qualités en toute chose. » Mes mantras me rappelaient à l’ordre et ils faisaient bien, car en l’occurrence ici mon maître n’était pas le paon, mais le pigeon que je jugeais insipide et fatigant, avec son trouble de l’attention. C’est bien facile de trouver des qualités dans ce que l’on admire, mais en déceler dans ce que je déprécie, voire rejette, voilà la marche du dessus !


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