« ça va ? »

« ça va ? »

À la question « ça va ? », elle hésitait entre s’effondrer ou envoyer un uppercut.
Pas tant à son interlocuteur, mais à cette convention sociale qui, en deux innocents mots, renferme un océan de variations et un désert de questions.

Simple, efficace, lapidaire !
« Ça va ? »

Comment dire ? Et par où commencer ? Mais déjà, m’arrive-t-il de me demander comme je vais ?
Pas ce que je fais, ce que je produis, ce que je construis, qui sous-tend cette autre immondice question de nos conversations mondaines en soirée ou de nos bavardages polis dans les transports, à la pause-café, ou encore à la queue de la boulangerie « Et toi, qu’est-ce tu fais ? »

Alors, ça va ?
Bah je ne sais pas…
Enfin si… je sais très bien quand je stoppe mes tribulations.
Mais toi qui me poses cette question si familière et anodine en mesures-tu sa vastitude ?
Es-tu disposé et prêt à écouter et à accueillir mon monde ?
Mes tremblements, mes hésitations, mes emportements, mes exaltations, mes errances, mes tâtonnements, mes pauses et mes silences, puis mes saccades et mes accélérations dans le son de mes mots.
Mes respirations foisonnantes qui fusent et se dénouent.
As-tu tellement envie d’entendre mes voix ?

Si je le voulais, je pourrais bien t’en dire sur comment ça va et toi aussi.
Dans un monde où on prendrait le temps de se regarder et de se sentir sans courtoisie,

Dans un paysage où on s’ouvrirait à ce qui est et non à ce que je crois qui est ou à ce que j’aimerais qui soit,
Dans une oasis où on aurait envie d’apprendre, où on se laisserait enseigner par l’autre, j’oserais te confier toutes les nuances et les couleurs de mon « ça va ». Car oui ça va, puisque je suis en vie.
Mes poumons reçoivent de l’air et mes organes essentiels fonctionnent.
En ce sens, c’est absolument magique !
Mon corps me porte du matin au soir et se régénère quand je dors. Brave soldat, il ne flanche pas.

Et pourtant, il étouffe des secrets que je me refuse parfois de voir, il recèle de trésors que je te tais et te cache quand tu me demandes « et ça va ? »

Le fameux, le fatidique, l’impitoyable cérémonial « ça va ? »

Si tu savais l’embouteillage de pensées qui se fait jour alors et mon cerveau échafaude en à peine quelques secondes une tour de Pise au cahier des charges précis pour te répondre.
Être authentique mais pas assommant !
Être profond mais pas fragile !
Être malicieux mais pas anesthésié par la drôlerie !
Être confiant mais pas naïf !
Être lucide mais pas sérieux !
Être triste mais pas plaintif !
Être fatigué mais pas déprimé !
Être content mais pas exubérant !
Être généreux mais pas ostentatoire !

« Ça va ? »
Bah… je me sens puissant et vulnérable ! Tu vois ce que je veux dire ?


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