Il était des larmes

Il était des larmes

Au-dessus de lui, elle le sentait en elle.
En même temps qu’elle répondait à ses baisers pleins d’envie, une contrition se fit en elle.

« Non ! Non ! Non ! Pas maintenant »
Les premiers instants, elle essaya de faire barrage en installant en elle une digue de fortune.
Repousser la vague qui montait et faire front contre soi.
Se tendre, se crisper et se contracter pour empêcher la moindre infiltration.
Tordre le coin de l’oreiller pour tenir.

« Non ! Non ! Arrête »
Mais se contraindre alors qu’on ne veut que s’affranchir,
Se contorsionner alors qu’on ne veut que se déployer,
Se réprimer alors qu’on ne veut que s’abandonner,
Quel harassant combat !

« Non ! Non ! Pas maintenant », disait son esprit
Mais son corps tel un colosse au cœur d’éponge se cabra et imposa sa vérité.
Une larme s’échappa d’un de ses yeux comme une légère goutte apparaît dans l’interstice d’une fissure.
La larme perla le long de sa joue.
Et elle sut à ce moment qu’elle ne parviendrait pas à contenir les prochaines.
Elle sut, car elle était bien fatiguée de lutter.
Si bien que d’autres larmes apparurent et tombèrent sur sa peau chauffée de désir et de gêne.

« Non ! Non ! Pas avec lui. Pas devant lui. » criait son esprit
Elle avait déjà réussi quelques jours auparavant à contenir l’éruption alors qu’ils étaient au téléphone.
Il avait attendu sa réponse mais elle, retenant son souffle, mordillant sa lèvre inférieure,
Elle avait serré à fond les écoutilles de sa gorge, qui, chevrotante aurait laissé transparaître son émotion vacillante.
Dans un lourd silence, elle avait retenu son cœur en apnée et lui, ne pouvant se douter de la tempête qui faisait rage en elle,
Il était passé à côté comme un passant qui ignore qu’un incendie vient de se déclarer à l’intérieur de la maison dont il ne voit que la façade.
La conversation finie, un geyser de larmes avait fait sauter le verrou.
Des larmes
Des larmes de ne pas réussir à dire.
Des larmes de chercher réconfort dans un doux et piquant, mais éphémère et fugace courant d’air,
Des larmes d’être attachée malgré soi à ce qui ne peut durer,
Des larmes de sentir son cœur se serrer quand la voix de l’autre disparaît.

Des larmes d’espérer soutien autre part qu’en elle.

Et maintenant, devant lui, sur lui,
Des larmes
Le cœur avait le vertige et des larmes coulèrent.
Les corps s’épousaient et les respirations se mêlaient.
Mais les yeux
Ses yeux craquelés d’eau se détournèrent pour tenter de se cacher.
Au pied du mur, elle se dit qu’il restait peut-être une chance pour que la vapeur de l’effusion de leur étreinte dissimule ou travestisse ses larmes.
Mais cette pensée d’urgence s’arrêta net quand elle entendit « Mais tu pleures ? »
À découvert, tel un lapin saisi par les phares d’une voiture, elle resta ahurie quelques secondes en elle.
Que répondre ? Quoi faire ?
Ne rien faire, ne rien dire !
Et rien ne serait sorti de toute façon.
Alors, sauve qui peut, se replier !
Devenir tortue qui se caparaçonne.
Devenir hors de portée.

« Regarde-moi », ajouta-t-il
Elle réussit à frôler son regard un instant puis s’échappa aussitôt et après, ses yeux ne montèrent pas plus haut que sa bouche
À mi-chemin de son visage,
C’était comme un compromis tacite.

Par pudeur, par maladresse, par gène, par respect, par affection
Par tout ce tableau d’impressions, il n’insista pas et choisit de l’embrasser.
Un baiser puis un autre et encore un autre et encore de tout ce qu’ils ne disaient pas.
Puis ils restèrent de longues et savoureuses minutes collés l’un contre l’autre dans un silence d’hébétement et de transpiration confuse.
Lui, pour le moins un peu déconcerté.
C’était la première fois qu’une femme se mit à pleurer alors qu’il lui faisait l’amour.
Elle, à la fois gênée et soulagée, d’être empêtrée d’humanité.

Il était des larmes
Des larmes d’un chagrin étouffé,
Des larmes d’un amour contrarié.

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