Proposition indécente

Proposition indécente

« Tu veux pas être plus simple ? » Me lança-t-elle dans une épure ciselée.

Je fus saisi, purement abasourdi, non seulement par cette proposition si banale à première vue mais aussi par l’implacable détente avec laquelle mon interlocutrice s’exprimait. Elle n’ajouta pas d’autre mot mais me regardait d’une façon bien singulière.


Je ne savais si elle me plaignait, si elle se moquait ou bien si elle compatissait. Je pressens que c’était un mélange des trois. Je pris son calme pour une forme de stoïcisme. Mais c’est bien sa présence qui me déconcerta. Elle ne cherchait pas à me convaincre ou à me rallier à son point vu. Elle ne cherchait rien. Mais elle était là, et ne bougeait pas. Elle me regardait si simplement et profondément que j’eus la très forte sensation d’être vu. J’étais regardé comme je ne l’avais jamais été par personne. J’étais totalement désarmé. Car il n’y avait rien à combattre, pas de lutte à porter, pas de revendications à brandir, pas de destination à atteindre. Je n’étais pas dans une impasse ou un cul-de-sac tel que ma stupeur aurait aimé me faire croire. Non pas du tout mais j’étais brutalement face à moi-même. Et en éclair, je me suis vu m’agiter dans tous les sens, je me suis vu chercher plus grand, déployer tant d’énergie pour pousser. J’ai vu mon arrogance à croire que je pouvais influer et faire courber l’extérieur, tel un télépathe en soif de contrôle. J’ai vu tant d’acharnement à vouloir plus que ce qui est déjà là. Le regard calme mais incisif, doux mais puissant de mon interlocutrice m’ébranla profondément. J’eus honte de mon orgueil et de mon endurance. Cette espèce de fierté à brasser encore et encore, à étirer le corps, le mouvement et le faire à toujours plus.

Elle qui m’invitait si humblement à être plus simple.
En étais-je capable ? En avais-je envie ?
Car mon mental, addict aux mondanités du monde, rêvassait silencieusement à l’extraordinaire, aux plaisirs hors normes, au fast et à la grandeur d’une vie intense, brûlante et truculente. Rien que ça ! Et je pouvais sentir la crainte, voire même peut-être la peur abyssale de ne plus exister, de ne plus être bouillonnant de vie.

Mais la proposition qui m’était faite maintenant m’animait fort le cœur, car j’étais en train d’en tomber amoureux. Elle était si divergente et à contre-courant de l’air ambiant où la mode est de faire de sa vie un show permanent émaillé de performances, éclats et réussites.
Oserai-je tendre vers ce chemin qui n’était ni celui de la sobriété, ni celui de la banalité, ni celui de l’ennui ou encore ni celui de l’ermite ? Qu’en était-il ? Cela restait à découvrir…
Oserai-je rester dans la mégalomanie du monde et créer avec elle une amitié simple et paisible ? La proposition pouvait paraître indécente tant l’ambition est grande et audacieuse.

Tout m’apparaissait pourtant clair et évident face à mon interlocutrice qui m’étreignait désormais. Dans une intimité des plus douces et sensuelles, nous nous étions rapprochés et caressés jusqu’à rester aimantés l’un à l’autre dans une ivresse amoureuse, tantôt décomplexée, tantôt indécente.
Qui était cette présence magique et impériale ?

« Je suis ta vie. » Me livra-t-elle avec son regard de braise.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.